A FROHLICH Unesco 2016 – 2 photos
Andreas FROHLICH
Colloque du Groupe Polyhandicap France UNESCO – 2 JUIN 2016
Je vais essayer d’expliquer mes idées autour de « l’éducation de près ». C’est un titre que l’on m’a suggéré, je ne l’ai pas choisi mais je relève volontiers le challenge.
Ma profession n’existe pas en France. Je ne suis pas éducateur, je ne suis pas instituteur, je ne suis pas thérapeute, mais ma profession, correspond à quelque chose entre celles-là.
En Allemagne, l’éducation spécialisée est enseignée à l’université, une matière comme apprendre le latin ou la géographie. Une fois diplômé, on exerce dans les écoles pour enfants handicapés : avec surtout des enfants handicapés mentaux et, depuis les années 1970 avec les enfants polyhandicapés.
Ces écoles, organisées et systématisées en Allemagne ont un rôle important, mais on peut aussi envisager l’éducation dans d’autres situations.
Des hommes sont prisonniers dans une salle d’une caverne sombre, autour d’un feu. La lumière des flammes reflètent sur les murs des ombres d’autres personnes qui sont dans une autre salle. Mais pour ces prisonniers, les ombres sont la réalité car ce sont des choses qu’on peut voir. Ce n’est qu’en les sortant de la caverne et en les guidant vers la lumière qu’ils peuvent comprendre que les ombres ne sont pas des choses réelles.
Ce processus, de sortir de la caverne, de « guider hors » est l’idée originelle de l’éducation.
Alors, on peut se demander : Y a-t-il aussi une caverne pour les enfants polyhandicapés ? Certainement…
Leur existence humaine, comme l’existence de toute autre personne, est sous les influences de leur corps. Mais peut-être que les personnes polyhandicapées sont plus fortement sous cette influence, avec un corps qui ne fonctionne pas comme les autres, qui est limité dans beaucoup de fonctions et qui « enferme » parfois la personne.
Alors, pour éduquer, on devra prendre en considération le corps et être en contact direct, dans un contact corporel, avec eux.
Cela ne correspond pas à la conception habituelle de l’éducation.
- Adapter les comportements d’une personne aux besoins de la société et de l’environnement, (et la psychologie a eu beaucoup de résultats chez les comportements des personnes handicapées).
- « Faire apprendre » est notre idée générale pour les élèves de nos écoles. Eduquer d’un point de vue humaniste est un processus qui vise à passer « du sauvage aux sage », et ceci durant toute notre vie. Nous tous, nous sommes dans ce processus et peut-être –je vous le souhaite- que quelques-uns y vont arriver.
- D’un point de vue un peu plus sociologique, éduquer, c’est préparer les enfants pour devenir la prochaine génération : travailler, produire, avoir des enfants, faire de la politique… Or, il est clair que nous pouvons dire que les enfants polyhandicapés ne seront pas porteurs de la prochaine génération.
Les enfants polyhandicapés sont très particuliers et ne rentrent pas complétement dans ces objectifs généraux. Cependant, ils sont aussi pleinement des personnes humaines et ont besoin d’éducation. Ils nous montrent avec leur particularité qu’éducation et humanité sont toujours très reliés.

Pour éduquer des personnes polyhandicapées, il faudra sortir de l’école traditionnelle pour nous adapter à leurs particularités
– restriction visuelle (ils ne sont pas nécessairement aveugles mais ils ne peuvent pas utiliser de manière significative ce qu’ils voient)
– même chose avec l’audition : les mots que j’utilise, c’est peut-être pour une personne polyhandicapée seulement un bruit, un son, mais ce n’est pas un moyen utilisable pour l’éduquer,
– de même les mains sont souvent utilisées non pas comme outils pour changer l’environnement, pour le manipuler, mais comme un moyen pour se stimuler, pour se mutiler, dans un cercle fermé.
Si on ne peut pas utiliser les moyens sensoriels de l’éducation classique (écouter, voir), il faut donc en chercher d’autres.
Un collègue autrichien disait qu’éduquer, c’est faire chose commune avec les enfants. Pour moi, « faire chose commune », cela n’est pas possible ni correct avec les enfants polyhandicapés. Je préfère le terme de « poly-éduquer », que je vais préciser.
Si la position de l’éducateur change, s’il se met du côté de la perception des enfants polyhandicapés, il lui faudra c’est sûr, agir souvent contre l’avis des autres et contre les traditions. Il aura besoin de beaucoup de courage, de créativité et de motivation.
Si je devais trouver un mot pour exprimer cette approche de l’éducation, ce serait « poly-éduquer ».
- Cela suppose une modification dans l’échange entre l’instituteur, l’éducateur, et ces enfants. Ce ne sont plus les mots, ce ne sont plus les dessins sur le tableau… qui peuvent opérer, il faut trouver d’autres moyens. Par exemple, j’ai parlé de modifier la distance, avec une distance corporelle très proche.
- Cela suppose une modification de la sensorialité : La vue, l’écoute ne sont pas les meilleurs canaux sensoriels pour effectuer nos activités. Les personnes polyhandicapées utilisent plutôt : l’odorat, le touche, le goût… C’est-à-dire tout ce que l’on ne peut pas faire durant toute scolarité dans une école traditionnelle ! Car, on est totalement préoccupé par dire : on ne fait pas ça, on ne touche pas quelqu’un, on ne renifle pas quelqu’un….
A l’école, il est difficile de modifier les matières à apprendre et les manières d’apprendre. Les enfants polyhandicapés n’apprennent pas Ce l’économie ou la déclinaison des verbes en latin. Ce sont d’autres choses, différentes, que peuvent apprendre les enfants polyhandicapés, mais qui sont toujours la découverte d’un aspect du monde.
Pour se mettre dans ce processus d’éduquer des enfants polyhandicapés, pour faire des choses communes avec ces enfants, il faut avoir une communication adéquate que nous appelons communication primaire, celle d’avant les mots, d’avant les gestes conventionnels :
- c’est le toucher,
- c’est aussi la respiration (si on respire ensemble, on est très proche, on peut s’exprimer par la respiration et montrer à l’autre qu’on est très attentif, qu’on est nerveux ou au contraire très calme, il ne faut pas être inquiet, on peut parler avec le souffle).
- Ce sont des mouvements de très faible amplitude, que nous appelons des micro-mouvements. On peut sentir chez quelqu’un la tension musculaire, les limites du mouvement… Tout ceci raconte beaucoup sur la personne (une certaine ouverture ou au contraire avoir peur). La spasticité n’est pas seulement un processus pathologique, c’est aussi une expression, une communication et on peut y répondre également dans ce registre.
- Notre voix aussi est très importante et les hommes ont peut-être un avantage quand ils parlent très bas car ils peuvent produire des vibrations corporelles et les transmettre à quelqu’un très près d’eux comme les vibrations que l’on ressent dans notre vie intra-utérine.
On peut s’organiser sur un plan de communication primaire : cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas verbaliser mais plutôt réduire la parole car nous oublions souvent, en parlant, nos autres possibilités de communiquer.
Je pense que dans l’éducation des enfants polyhandicapés, il y a deux éléments très importants : Le contact corporel et la résonnance. C’est-à-dire comment répondre corporellement aux petites émotions, aux petits mouvements que l’on peut remarquer ou sentir chez des enfants.
Pour communiquer, c’est toujours nécessaire de répondre même si nous ne sommes pas sûrs, pas convaincus d’avoir bien compris, il faut essayer quand même et après peut-être qu’il y aura une réponse en retour à notre réponse et c’est le commencement d’une communication.